J'veux juste être ton ami. Je peux ? * Erwan & Holly-Lou

J'veux juste être ton ami. Je peux ? * Erwan & Holly-Lou I531210

Le temps était à l'orage. Et ce n'était pas seulement vrai pour le ciel de San Francisco. Abritée sous un porche d'une maison inconnue, Holly cherchait un endroit où aller. Un quelque part qui serait son chez elle temporaire. Car ses parents n'avaient pas pensé que, peut-être, elle n'aurait pas toujours envie de vivre au campus. La raison ? Trop de monde. Une overdose de visages qu'elle ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam. Le nouveau ne l'effrayait d'ordinaire pas. Mais ce nouveau-là, si. On risquait de découvrir sa… différence. Ce qui était inconcevable. Alors elle fuyait, pour ne pas changer. Ce qui marquait un écart entre sa situation à New York et celle actuelle était le manque de connaissances. La sorcière se retrouvait complètement seule. Enfin, presque.
Baissant les yeux à la vue d'un groupe de jeunes qui lui rappelait vaguement des étudiants, elle entraperçu son reflet dans une flaque d'eau. « T'es une belle couillonne, mon idiote. » A ces mots, à cette voix sortant de nulle part, ladite Holly n'accorda pas la moindre attention. Se contentant de ruminer des injures, de les grogner entre ses dents. Lou avait le chic pour l'enquiquiner quand elle ne cherchait qu'une seule chose, c'était être tranquille ; combien de fois faudra-t-il encore qu'elle le lui dise, bon sang ?! L'autre ne releva pas. Narquoise, elle s'évapora. Et Holly poursuivit sa recherche de l'endroit idéal.

Quelques minutes plus tard, elle avait enfin trouvé ce qu'elle désirait. L'accès à l'Avenue Magique (une petite auberge fort sympathique, même si elle avait préféré ne pas y traîner inutilement) lui avait été servi sur un plateau d'argent. Son réconfort trouvé, elle s'élança à vive allure, malgré la pluie battante, à travers l'allée principale. Boutiques et cafés se succédaient, mais elle n'y prêta pas importance. Non. Ce qu'elle cherchait, c'était un point de repère Magique. Une sorte d'accueil comme dans les grands hôpitaux où une matrone vous demandait « Est-ce que je peux vous aider ? » d'une voix faussement aimable (ou alors pas du tout). Question à laquelle vous répondiez en fonction de vos besoins. Dans son cas, elle aurait demandé où trouver le fameux Cercle Magique ? Et on lui aurait indiqué un chemin simple pour y accéder.
Mais tout ça, c'est du conditionnel. Il n'y avait pas d'Accueil ; pas de matrone hypocrite ; pas de question et donc ; pas d'aide. Quel bourbier.

Au détour d'un énième magasin tape à l'oeil, elle faillit percuter de plein fouet un jeune garçon. Blond et avec des allures de gentil gars, mais ma foi, il restait un inconnu. Fidèle à ses principes, elle ne chercha pas à croiser son regard. Mais pourtant, il semblait lui rappeler quelqu'un. « C'est ce gars, celui qui nous suivait l'autre jour. Tu sais, près de cette boutique. » l'informa Lou, a nouveau apparue dans une vitrine. Ne sachant que faire, Holly la laissa prendre possession de leur corps. Corps qui ne lui appartenait déjà plus puisque s'y trouvait désormais Lou, la téméraire.
Décidée, elle plongea ses yeux dans ceux du Gars. Sans hésitation, elle sourit. Un sourire qui se voulait désolé. Peut-être était-il faux, puisqu'incapable d'éprouver de la culpabilité. Mais un sourire quand même. Ensuite, elle s'exprima (car il y a des circonstances où la parole peut servir, oui.) :

- Pardon, je ne vous avais pas vu.

Et elle ne bougea plus, attendant simplement qu'il réplique et la laisse partir. Impatiente de poursuivre son chemin, nébuleux, flou, mais chemin malgré tout.

MODERATEUR

L'été avait été magnifique. Trop, peut-être. Alors maintenant, l'automne se vengeait et s'installait sur le monde avec un ciel gris menaçant qui déversait des torrents de pluie de manière discontinue, brève mais intense. Le bitume détrempé se révélait glissant et les passants avançaient prudemment, tenant fermement leur parapluie d'une main et leurs achats ou leurs enfants de l'autre. N'importe quel observateur un peu averti aurait pu les comparer à des anglais, si ce n'était leur absence de flegme.
Une dame s'emporta d'ailleurs contre un chauffard qui allait trop vite et qui, en longeant le trottoir, avait roulé dans une flaque d'eau relativement conséquente. Le bas de son tailleur noir bien coupé tout trempé, la femme reprit son chemin dans un état d'énervement visible, ses talons claquant violemment sur le macadam. Non loin de là, deux adolescents n'avaient rien perdu de la scène et s'esclaffaient sans gêne en suivant la victime des yeux, s'échangeant des commentaires certainement peu agréables au sujet de ladite dame.

Erwan observait l'ensemble de la rue d'un air à la fois amusé et blasé. Les mentalités étaient et resteraient certainement les mêmes, au fond. Les jeunes se moquaient des vieux et ces derniers se ridiculisaient de plus en plus en voulant regagner leur autorité perdue. Schéma si usé qu'il en devenait lassant. Les joies de l'éternité, songea le bel elfe blond. Haussant les épaules, il remonta la capuche de sa cape grise sur sa tête et tourna les talons pour s'engouffrer dans le bar nommé Les Trois Trolls, qui n'était autre que l'entrée de l'Avenue Magique, lieu interdit aux humains mais très prisé par la communauté magique. Traversant le pub miteux, il ressortit par la petite porte enchantée qui ne s'ouvrait qu'en présence d'une personne dotée de pouvoir magique, située tout au bout de l'endroit, non loin du comptoir/bar.

Une fois dans la fameuse allée, il leva les yeux et constata que le ciel se faisait de plus en plus menaçant. Il grommela un peu mais se résigna à l'idée qu'une nouvelle averse allait s'abattre sur la ville. Resserrant les pans de sa cape autour de lui, il commença à remonter l'avenue. Il se rendait à la librairie des grimoires en espérant y trouver un livre qui lui permettrait de mettre à jour ses connaissances en matière de soins poussifs. Une blessure mortelle, un cancer au stade terminal ... Il comptait se lancer dans le monde de la médecine, à titre personnel bien sur, mais il avait pour cela besoin de connaissance solide.

Tout en regardant où il mettait les pieds, afin d'éviter de se les tremper, il progressait rapidement en jetant de temps à autre des regards droits devant lui. Mais alors qu'il passait devant ce qui semblait être une boutique de vêtement, il rencontra un obstacle de taille humaine. Surpris, il recula légèrement après le choc et tomba nez à nez avec une jolie demoiselle blonde aux yeux bleus. Pétillant et fascinant, elle avait le regard intense. Mais Erwan ne pu l'apprécier très longtemps car elle le baissa rapidement. Lorsqu'elle le releva, un sourire étrange étirait ses lèvres et elle déclara d'une voix calme :

- Pardon, je ne vous avais pas vu.

Elle le regardait droit dans les yeux cette fois, un contact visuel puissant et étrange. Vaguement étonné, il répondit tout naturellement en lui rendant son sourire :

- Je vous en prie, c'est moi qui ne regardais pas où j'allais. Pardonnez moi ...

Il restait planté là devant cette étrange demoiselle au sourire décalé et aux yeux envoutants, sans trop savoir quoi faire. Il devait reprendre son chemin mais quelque chose dans le regard de la jeune femme l'attirait. Un mélange de jeunesse et d'assurance incompatible, un paradoxe déroutant mais séduisant.

Où pouvait-on recueillir ce genre d'information ? Il devait bien exister un guide, un plan communiquant la manière exacte grâce à laquelle se rendre au Cercle Magique. Obnubilée par ce seul désir, Lou focalisa toute sa concentration sur une solution envisageable. Errer jusqu'à tomber sur la bonne réponse lui semblait être une bonne alternative. « Mais oui, et pourquoi ne pas carrément demander à chaque passant s'il ne pourrait pas t'y emmener ? » Ignorant les moqueries de la Holly-vitre, elle rattrapa le fil de ses pensées qui déviaient étrangement vers une drôle de distraction. Un observateur muet. Le gars. L'oublié. Celui-la même qu'elle emprisonnait de son regard d'acier depuis que sa voix s'était tue. Il ne l'avait toujours pas excusée, qu'attendait-il pour le faire, bordel !? Le déluge peut-être ? « Lou, laisse-lui le temps de retrouver ses esprits. Je te rappelle que nous l'avons secoué, il y a quelques secondes. » Bien sûr, lorsqu'il s'agissait d'erreurs, la première personne du pluriel était de circonstance. Autant ne pas tomber toute seule, sans doute. Quoi qu'il en soit, Lou ne lui adressa pas même un signe d'agacement. Et reporta son attention sur le jeune homme.

Il lui sembla qu'il cherchait à prendre la parole - c'était pas trop tôt. Et il le fit.

- Je vous en prie, c'est moi qui ne regardais pas où j'allais. Pardonnez moi ...

Cet idiot restait planté là. Un peu comme elle, cela dit. A la différence qu'elle, elle n'avait pas l'air idiote. Lou ne passait jamais pour une imbécile... pas à ses yeux, du moins.

La blonde finit par faire demi-tour, car rester debout sous la pluie ne l'amusait pas tant que ça, et puis, elle avait d'autres chats à fouetter. Sans même avoir adressé un mot d'explication au blond, Lou s'enfonça à vive allure dans l'Avenue Magique, se fiant à ce que son instinct lui dictait. Bien sûr, elle n'eut pas l'occasion d'avancer énormément puisque son double angélique ne cessait de la poursuivre en se matérialisant dès qu'elle en avait l'opportunité. Ronchonnant au vu de sa conduite dépourvue de toute forme de bienséance, ce qui, d'après la nonne, était inacceptable. Holly pouvait avoir le coeur grand, sans toutefois manquer d'être bornée et aussi têtue qu'un âne. Quand elle avait décidé quelque chose, surtout lorsque son (leur) image était mise en jeu, inutile de chercher à lui désobéir. Néanmoins, Lou tentait à chaque fois de ne pas céder aux caprices perfectionnistes de son autre. Hélas, elle fut incapable de contenir son agacement et l'injuria du mieux qu'elle put. Holly se mit soudain à éclater de rire, car, évidemment, cette crétine, elle, ça la faisait rire qu'on la prenne pour une cinglée parce que Lou, elle, se disputait avec une simple vitre. Le ton de ses murmures s'était légèrement accentué, et, d'un coup d'œil furtif, Lou vérifia que personne n'avait remarqué la bizarrerie de son comportement.
Elle remarqua que le gars de tout à l'heure n'était pas loin, toutefois se retenait-il de la fixer. Tant mieux. Elle espéra qu'il n'avait pas fait attention à elle, au moins, ça lui éviterait de s'être encore une fois faite remarquer à cause de l'insupportable petite ange. Juste au cas où, elle fit mine d'être en proie à une crise de toux. Car ce coup-là fonctionnait presque tout le temps. « Lou, retourne immédiatement près de cet homme et cette fois-ci, essaie de te montrer un tant soit peu polie. C'est un ordre ! » Ne comprenant pas où était l'intérêt de cette perte de temps, la concernée l'envoya posément balader d'un geste obscène de la main effectué en douce.

La sorcière cheminait toujours à son aise, arrosée par l'averse de cette fin d'été. Bientôt, la saison des pluies serait de retour. Et qui disait pluies intempestives disait forcément flaques en surnombre. Or, plus de flaques d'eau équivalait à plus de reflets. Ce qui s'avérait salement embêtant pour les deux jeunes femmes. Déjà que se balader en paix sur cette avenue relevait de l'impossible lorsque Holly cherchait toutes sortes d'excuses qui pousseraient sa collègue à aller engager la discussion avec ce type qui les suivait encore de quelques mètres, et, tant qu'on y est, s'excuser de son impolitesse flagrante. « … Et puis, peut-être qu'il pourrait nous aider lui, à trouver le Cercle Magique. » A ces mots, la blonde s'arrêta net. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt, ça l'amusait de les faire tourner en rond pour rien ? Exaspérée, Lou fit volte-face et retourna se planter abruptement à côté du jeune homme, ce qui ne lui prit qu'une vingtaine d'enjambées à tout casser. Dressée à sa gauche, la tête tournée vers la sienne, les yeux plongés dans ceux de son prochain interlocuteur, ces derniers reflétant une trace d'incompréhension justifiée.

- Holly-Lou. Je m'appelle Holly-Lou Joyce. énonça-t-elle subitement, esquissant un sourire chaleureux.

Après tout, n'avait-il pas, au cours de sa dernière réplique, laissé la fin en suspension ? Le regardant presque gentiment, Lou parfit son rôle d'hypocrite et attendit qu'il réponde ou qu'il n'en fasse rien.

MODERATEUR

La belle blonde resta silencieuse. Elle l'observait d'un air à la fois intrigué et méprisant, regard particulièrement déstabilisant. Interloqué, Erwan resta là les bras ballants, sous la fine pluie qui tombait avec légèreté et ruisselait paisiblement sur sa cape sombre. Elle était sensiblement plus petite que lui mais il se sentait comme un bambin devant un vieil elfe sévère. Les prunelles bleues acier de la jeune femme le transperçait partout, sans aucune gêne.

Soudain, elle détourna le regard et, dans le mouvement, tourna les talons pour s'éloigner vers les murs, certainement afin de s'abriter de la pluie. Trop surpris pour réagir, l'elfe blond la suivit des yeux tandis qu'elle poursuivait sa progression d'un pas assuré et déterminé, qui tranchait terriblement avec sa fine et fragile silhouette. Elle semblait à la fois maîtresse d'elle-même et hésitante comme une enfant. Le cocktail d'émotions et de pulsions contradictoires qui avaient tourbillonné dans ses yeux restait profondément imprimé dans l'esprit d'Erwan, qui se demandait comme une aussi jeune personne pouvait dégager tant de chose, tant de paradoxe.
Baissant la tête pour chasser les gouttes de pluie qui gouttaient de ses cheveux et roulaient sur son front avant de noyer ses yeux, il remarqua que ses mocassins noirs baignaient dans une petite flaque d'eau. Grognant légèrement, il se décala un peu vers le haut de la chaussée avant de lever une main pour la passer dans ses cheveux bouclés, qu'il ébouriffa ainsi un peu plus. Il perçu, grâce à son ouïe d'elfe, une quinte de toux un peu forcée et n'eut pas besoin de lever la tête pour savoir qu'il s'agissait de l'étrange blonde qu'il venait de croiser. Indécis, il secoua de nouveau la tête pour chasser l'eau de ses yeux et préféra finalement regarder la vitrine d'arme qu'il avait sous le nez.

A peine une minute plus tard, une sensation de chaleur à ses côtés lui apprit qu'il n'était plus seul. Tournant la tête vers la droite, il croisa le regard de l'inconnue qui lui était rentré dedans. Il eu un choc devant la lueur chaleureuse et enjôleuse qui fusait dans les prunelles azurs autant que devant le sourire qui éclairait le visage. D'un ton joyeux, elle déclara :

- Holly-Lou. Je m'appelle Holly-Lou Joyce.

Le sourire s'accentua et, par pur réflexe, Erwan le lui rendit en inclinant un peu la tête. Tentant de reprendre ses esprits, il répondit d'une voix calme mais radieuse :

- Enchanté Mademoiselle.

Ne sachant pas trop comment poursuivre la discussion, il se contenta de lui sourire en la fixant droit dans les yeux. Indécis mais curieux, il ne broncha pas et soutient le regard intense de la belle blonde, qui ne devait pas avoir plus de 25 ans.